CMM – Retour manifestation novembre 2013

Article de presse, à la suite de la manifestation de ce jeudi 21/11/2013

Parution du vendredi 22 novembre 2013
Pascale Serret

Namur: le secteur « handicap » inquiet

Employeurs et travailleurs du secteur handicap se sont mobilisés hier à Namur. Ils étaient venus en nombre pour signifier leur inquiétude. La cause du courroux: les mesures d’économie annoncées.

Grosse mobilisation hier à Namur:les employeurs et les travailleurs du secteur «handicap» sont inquiets.

Ils sont 2 500 ou 3 000. Les organisateurs et la police sont d’accord, pour une fois. Dès 10h30, sur le parking de l’avenue Gouverneur Bovesse à Namur, tout le monde s’aligne derrière la banderole principale : «Un handicap, ça ne se choisit pas. Une politique sociale : oui!»

Fait assez rare dans une manif, les employeurs défilent aux côtés du personnel et des trois syndicats. Parmi eux, des dizaines de personnes en chaise roulante.

« C’est comme ça depuis des années »

En Wallonie, le secteur du handicap va peut-être se voir contraint de faire 9 millions € d’économies. Dont environ 5 millions (1,25 % de la dotation forfaitaire annuelle) à charge des institutions d’hébergement et d’accueil des personnes handicapées. C’est pour ça qu’elles sont dans la rue, avec les entreprises de travail adapté.

«C’est déjà impossible aujourd’hui. C’est un refinancement qu’on attend, pas le contraire! » rappelle un éducateur venu de la région du Centre.

Un jeune couple avec un bébé dans la poussette croise la foule compacte des manifestants et se pousse du coude, sans s’arrêter : « Eh, t’as vu? Y a Saint-Nicolas!»

Avec une Mère Fouettarde (à peau blanche), le Saint-Nicolas de la manifestation va balancer toute la matinée des ronds de carotte. «C’est vrai qu’on est soumis de plus en plus à un régime d’âne », résume la Mère Fouettarde.

« C’est comme ça déjà depuis quelques années», observe Bertrand Jonckers, secrétaire permanent au syndicat libéral (CGSLB). «On risque des licenciements. Les gestionnaires d’institution seront contraints de ne plus accepter des résidents parce qu’on est obligés de fermer un service. Et l’année prochaine, ce sera au tour des maisons de repos, des crèches et des hôpitaux!»

Mais cette manifestation n’est pas un coup de semonce. « Non, c’est un appel à l’aide! » ajoute Bertrand Jonckers.

Élysette, Parlement…

Pendant que le cortège suit sa route vers le Parlement wallon, une délégation a déjà pu rencontrer à l’Élysette les chefs de cabinet de Rudy Demotte, le ministre-président wallon, et de la ministre de l’Action sociale Éliane Tillieux. Et, à midi, la même délégation s’engouffre dans le bâtiment du Parlement wallon pour discuter avec le président Patrick Dupriez.

En attendant, les manifestants sont sagement massés devant le Saint-Gilles. Et la mitre de Saint-Nicolas a pris un angle périlleux. Sous le porche gardé par les forces de l’ordre, certains tentent de négocier une approche des toilettes. En vain.

La délégation ressort vers 12h40. Entre satisfaction relative et vigilance (lire ci-contre). Les organisateurs se disent prêts à remobiliser leurs troupes.

« Ce sont les plus vulnérables qui vont trinquer : les handicapés »

Pascal Henry est président de la plus grosse fédération du secteur, la Fissaaj.

Pascal Henry, vous êtes président de la Fissaaj (*). La ministre de l’Action sociale Éliane Tillieux a rappelé il y a quelques semaines que la dotation de l’Awiph avait augmenté de 12 millions en un an et de 100 millions depuis 2009. Alors, pourquoi manifestez-vous?

C’est vrai que le budget a augmenté depuis 2009. Au sein de l’Awiph, les coûts salariaux augmentent. Et du côté de l’aide individuelle aux personnes, les besoins augmentent aussi. C’est légitime. Mais les services d’accueil et d’hébergement vont voir leur financement revu à la baisse. On habille l’un pour déshabiller l’autre.

Quel pourrait être l’impact de ces 9 millions € d’économies sur les services d’accueil et d’hébergement des personnes handicapées, en Wallonie ?

Sur les 9 millions de réduction de la dotation, les services d’accueil et d’hébergement (environ 8 000 emplois en Wallonie) vont porter 60 % de l’effort.

Or, dans ces services, environ 85 % des dépenses sont consacrées aux salaires.

C’est donc forcément sur la masse salariale que cette réduction de la dotation va se répercuter. La diminution envisagée pour 2014 pourrait avoir un impact sur 250 emplois au moins. Mais on craint que ce ne soit qu’un début, que cela ne préfigure d’autres vagues…

Pourquoi ?

C’est déjà très difficile aujourd’hui. Ce sera encore plus compliqué avec les transferts de compétences. Et ceux qui vont trinquer, ce sont les travailleurs, bien sûr, mais aussi les plus vulnérables dans cette société : les personnes handicapées.

À la veille de l’opération Cap 48, vous vous demandiez déjà s’il ne fallait pas lancer une opération Cap 49, en prévision de cette réduction de subsides. Vous aviez rencontré le cabinet de la ministre Tillieux. La rencontre n’a pas été satisfaisante ?

Non. Si on ne descend pas dans la rue, on ne nous entend pas.

En ce moment, le budget de la Région est au régime sec…

Ça dépend où on met les priorités. Notre secteur est une priorité.

P.S.

(*) Fédération des Institutions et services spécialisés d’aide aux adultes et aux jeunes (350 services en Wallonie).

Le Gouvernement consent…

Les organisateurs de la manifestation ont pu rencontrer des représentants des cabinets Demotte et Tillieux au siège du gouvernement wallon.

« La volonté est d’éviter les pertes d’emplois ou à tout le moins de les réduire », rapportent deux représentants des employeurs du secteur, Philippe Vanhoye (Uffiprah) et Pierre Veys (Fissaaj). Que s’est-on dit autour de la table, à l’Élysette ? Le budget de l’Awiph, pas encore avalisé, pourrait être revu. « Des normes d’économies internes peuvent être différées pour que l’emploi ne prenne pas les mesures de plein fouet », poursuivent-ils. En gros, il semble que, sur les quelque 5 millions d’efforts que le secteur de l’hébergement et de l’accueil devrait supporter, le gouvernement wallon puisse trouver une solution pour environ 3 millions €. Ce quipermettrait d’alléger le poids sur les services concernés. « La réduction de 1,25 % du subside forfaitaire annuel… ne serait plus de 1,25 %. Mais si c’est 0,40 %, ce ne sera pas plus acceptable », prévient l’un des membres de la délégation. « Ils ont promis de travailler avec nous pour arriver à 0 %. » « Mais il ne faut pas être dupe », ajoute un autre. Le 12 décembre, la décision sera prise.

« Il y a aussi le chauffeur, la cuisinière… »

Anne-Françoise, Annick, Axelle, Lindsay, Manu, Sabrina… Gros sifflets rouges sous le menton, ils sont venus à 15 (dont une « chaisarde ») pour manifester à Namur, sous un calicot de fortune où sont tracés trois mots en majuscules rouges : « Prends mon handicap ».

«Et il n’y a pas que les éducateurs qui sont venus manifester. Il y a aussi le chauffeur, la cuisinière… » énumère Sabrina Magnery, directrice de La Bernache et du Refuge, centres d’accueil de nuit et de jour à Geer (40 personnes en centre de jour et 25 en hébergement, tous adultes polyhandicapés). « Ça nous touche tous, dans nos services!»

Mais il a bien fallu laisser du monde au centre. On ne peut pas fermer ce genre de service et l’encadrement minimum doit être garanti, manif et grogne sociale ou pas.

Grogne? Remontée à bloc, la directrice se lâche. «On ne peut pas faire un travail de qualité avec ce budget de m… On a l’impression d’être pris en otage par l’Awiph. On a l’impression de payer la crise. Enfin, ce n’est pas qu’une impression. On est de plus en plus touchés. On vend des œufs, des bics, on fait des lasagnes, des journées portes ouvertes… Mais on ne peut pas juste dépendre de la charité. Et encore, on a la chance d’être soutenus par un service club. Mais ça va être comment l’année prochaine?»

Les autres en rajoutent une couche. «Évidemment, on ne parle pas de nous. C’est difficile à mobiliser, des gens éparpillés, isolés un peu partout dans des institutions. On n’est pas ArcelorMittal, nous. Et on n’est pas très photogéniques… Les gens, sauf s’ils sont concernés directement, le handicap ils ne connaissent pas. Il faut bien dire qu’on est dans une société où c’est chacun pour sa pomme, hein!»

Tiziala était aussi de la manifestation

Tiziala fréquente Li Bricoleu, le service d’accueil de jour du Bercail (adultes déficients mentaux, Liège). Elle manifeste, solidaire et concernée.

Sous l’œil de sa maman, elle vient tirer par la manche ceux qui pourraient aider, peut-être… « Il n’y a pas assez d’argent. Comment on fait ? » La sous-directrice du Bercail Delphine Fraipont confirme : pour les sorties, pour développer des relations de qualité, etc., il faut puiser dans les fonds propres. Le Bercail, c’est 45 travailleurs, 42 résidents et un accueil de jour, « agréé pour 15 mais on va jusqu’à 30 » . « Il y a une contradiction entre ce que demande l’Awiph, à savoir plus de qualité et plus d’intégration, et la réduction de l’enveloppe. »

Il y a 40 ans, le Bercail a lancé l’ «opération gaufres». «Pour les 40 ans, on va redynamiser tout cela! » se réjouit la future directrice de l’association. Dix institutions de 4 provinces wallonnes profitent de ces rentrées pour acheter du matériel, organiser des camps pendant les vacances, etc. «Sans ces gaufres (50 000 vendues chaque année, tout de même, NDLR), on ne pourrait pas améliorer le quotidien des personnes accompagnées. »

« À ce stade-là, ça tient du miracle »

Didier travaille depuis 15 ans dans le secteur. Il est éducateur à Saint Jean-Baptiste de La Salle (Namur). Une grosse institution : 165 lits pour les mineurs (3 à 18 ans) et 70 résidents adultes, plus une trentaine encore sur un autre site.

« On doit réduire les budgets, absolument tout calculer au plus juste. Ce n’est plus de la gestion : à ce stade-là, ça tient du miracle », raconte-t-il. « Les hommes politiques ne sont pas en mesure de juger des besoins de ce genre de service. Il faudrait passer deux ou trois semaines avec nous pour comprendre », soutient Didier.

La qualité de l’accueil, le nombre de places… «C’est déjà largement insuffisant aujourd’hui. Ça régresse comme ça depuis 4 ou 5 ans. On va droit dans le mur. Et tout s’en ressent : entretien des bâtiments, pédagogie, activités… C’est un peu comme dans les prisons, où on manque de tout. Sauf que chez nous, c’est inimaginable de mettre deux personnes dans la même chambre. On n’a pas encore dû restructurer. Mais à mon avis, les gens qui partent à la retraite ne seront pas remplacés.»

P.S.

Source: L’Avenir.net